LA COPAREYE




Souvenirs

 

♦ Charles-Nicolas SIMONON :

LA CÔPAREYE

1
Le son de la Côparèye
Est encore dans mes oreilles,
Parois je crois l’entendre :
Il me semble qu’elle vit encore,
Cette antique Côparèye
Que tant de gens ont oubliée.

2
Elle me fait me souvenir
Des années de mon enfance ;
Cette illusion m’enchante.
Qui n’a pas envie
De se reporter parfois
À l’époque de son jeune temps ?

3
Au quart avant neuf, le soir,
Tous les jours pendant quinze minutes
La Côparèye sonna.
Pendant le très grand espace de temps
De peut-être mille ans,
Cette cloche diligente alla.

4
L’origine de la Côparèye
Se perd dans l’épaisse nuit
D’un temps qui l’a dissimulée.
L’histoire parle de la cloche,
Sans pouvoir dire l’époque
Où elle a commencé de sonner.

5
On sait qu’au quinzième siècle
On la proposait comme règle
Aux gens de la noble Cité ;
Après la cloche côparelle,
Ils ne pouvaient plus sans chandelle
Circuler dans les rues.

6
Elle avait choisi de résider
Dans la plus haute tour de Liège,
Dans le clocher de Saint-Lambert.
Là, voisine des nuées,
Et doucement ébranlée,
Elle faisait entendre sa voix.

7
La cloche retentissait fortement
Dans le faubourg, sur les hauteurs,
Dans les champs des environs ;
Un petit vent qui soufflait faisait
Que le son aérien se portait
À des villages éloignés.

8
Au cours des soirées paisibles
Près du bois du Val-Benoît,
Aux beaux jours du mois de mai,
Il m’arrivait souvent de m’arrêter
Et, dans l’apaisement, d’écouter
La cloche et le rossignol.

9
Quand de rudes gelées
Me repoussaient au coin
D’un bon feu éclatant,
La nuit, la Côparèye
M’était une compagnie,
Si je me sentais esseulé.

10
Lorsque couché dans mon lit
À attendre mon premier sommeil,
J’en étais à me retourner,
Au son de la Côparèye
Je sentais le sommeil
Venir m’envelopper.

11
Au lieu d’une cloche aujourd’hui,
Nous entendons de trente tambours
L’épouvantable vacarme ;
Sur leur passage, en ville,
Chacun se bouche les oreilles
En cherchant à se sauver du bruit.

12
Pour l’enfant que l’on balançait
Dans son berceau et qu’on cherchait
À endormir paisiblement,
Aucune raison ne valait
La Côparèye qui venait
L’endormir tout doucement.

13
Mais il y avait des canailles
Qui effrayaient les enfants,
Au point de les faire trembler,
En leur disant que la Côparèye
Leur couperait les oreilles
S’ils n’allaient pas dormir bien vite.

14
En été, en hiver,
La Côparèye toujours
Sonna au même moment ;
Au plus long jour de l’année,
On la trouvait bien trop pressée
De faire se retirer les gens.

15
Elle disait dans son langage ;
« Rentrez chez vous sans faire d’esclandre,
« Rentrez, buveurs que vous êtes ;
« Obéissez à mon signal sonore,
« Quittez, quittez la taverne ;
« On vous mettrait à l’amende.

16
« De Liège les portes fermées
« Ne vous laisseront aucune entrée,
« Sinon en payant le guichet ;
« Puis, à dix heures sonnantes,
« Le garde très vigilant
« Vous fera visage de bois.

17
On disait : « A quoi sert-il
« De fermer tous les passages
« Du faubourg à la cité ?
« Alors que notre ville n’est pas ville forte
« Pourquoi ferme-t-on les portes
« En pleine paix, en été ?

18
« Si je vais faire une promenade
« Ou voir un camarade
« En dehors des portes, en été,
« Que je m’amuse un peu tard,
« Pour me laisser rentrer le garde
« Ne me fera-t-il pas des difficultés ?

19
« Est-ce que notre ville de Liège
« Soutient un nouveau siège
« Contre le prince de Nassau ?
« Si c’est de crainte des voleurs,
« Est-ce qu’on se préoccupe de faubourgs
« Où ils pourraient bien faire leur coup ?

20
« Vivons-nous au temps critique
« Où un pouvoir tyrannique
« Craignait les bourgeois,
« Où une police soupçonneuse
« Tremblait qu’on s’attardât
« Trop en chemin ?

21
« Mais que feraient les soldats,
« Portes, citadelles, remparts
« Pour contenir les Liégeois ?
« Si on était haï d’elles,
« Toutes ces forces que feraient-elles ?
« Elles ne feraient pas grand-chose …

22
Voilà ce que grommelaient
Certains, revenus
Un peu tard de leur équipée,
Quand ils arrivaient aux portes
Qui n’étaient plus ouvertes
Pour les laisser passer.

23
En été, je l’avoue,
Cette heure-là, c’était bien trop tôt
Pour pousser les verrous ;
Il n’est pas toujours sage
De suivre les vieux usages
Au-dessus de quoi le temps a grandi.

24
Notre police aurait dû voir
Qu’on ne menait plus la même vie
Qu’anciennement
Lorsque les « têtes de houille »
Allaient avec les poules
Dormir bien paisiblement.

25
Quand la Côparèye sonnait, nos aïeux,
Tout en baillant, disaient
Bonsoir à leurs amis ;
Au couvre-feu, l’usage,
Dans leurs paisibles ménages,
Était d’aller dormir.

26
On connaissait le moyen
D’épargner la lumière
Autrefois mieux que de nos jours.
La méthode était simple :
On allait dormir tôt,
On se levait plus matin.

27
Aujourd’hui, les grands seigneurs
Ont modifié toutes les heures ;
Ils dorment le matin,
Déjeunent vers douze heures,
Dînent qu’il fait noir
Et soupent le lendemain.

28
Temps nouveaux, nouvelle mode.
Tout change d’un siècle à l’autre,
Les hommes ne cessent de changer ;
Mais les changements de notre siècle
Ont passé toutes les règles …
Revenons à notre sujet.

29
Tant que Liège indépendante
Se montra triomphante
Entre ses puissants voisins,
La Côparèye toute fière
Éleva jusqu’au ciel
Le son de son contentement.

30
Au moment où le armées françaises,
Rassemblant toutes leurs forces,
Vinrent l’an nonante-deux,
La Côparèye toute triste,
Cachée dans son édifice,
Se tut plus de trois mois.

31
Les Français étant partis,
Il y eut des gens pour pleurer de joie
En l’entendant sonner de nouveau ;
Dans la vieille Côparèye,
Ils revoyaient leur patrie
Qu’on venait de leur restituer.

32
Si elle se fit entendre une fois encore,
Ce fut pour dire à la ville
Un éternel adieu ;
L’an d’ensuite, en juillet,
Des victoires plus complètes
Ramenaient les Français.

33
L’an nonante-quatre, la France
Vainquit l’alliance
De tous les potentats ;
Et l’aigle impérial,
Tremblant devant la République,
Se réfugia au-delà du Rhin.

34
Liège qui ne fût enchaînée,
Pendant huit cents années,
Par aucun des potentats,
Tomba sous le joug de la France,
Perdit son indépendance,
Et la Côparèye mourut.

35
C’est alors que des vandales
Ont détruit la Cathédrale,
Ont détruit en tous lieux
Les monuments de notre gloire,
Les monuments d’histoire,
D’art et d’antiquité.

36
A la fin, absolument tout tombe,
Les états, les monuments, les hommes ;
À la fin, tout doit mourir ;
L’antique cloche est fondue,
La tour est abattue
Et ses ruines ont disparu.

 

Merci à Guy FONTAINE pour sa retranscription

Li Côparèye

1
Li son dèl Côparèye
Èst co d’vins mès-orèyes,
Kék’fèye djèl pinse oyî :
I m’ sonle èco qu’èle vike,
Cisse Côparèye antike
Ki tant d’ djins ont roûvî

2
Èle mi done li sov’nance
Dès-an.nêyes di mi-èfance ;
Ciste illûzion m’ plêt bin.
Kî èst-ce qui n’a nin èvèye
Di s’ ripwèzer kék’fèye
En-èrî d’vins s’ djône tins ?

3
A cwårt po noûf, al nut’,
Tos lès djoûs cwinze minutes
Li Coparèye sona
Pindant l’ très grande hapêye
Di mutwèt d’ mèye annêyes
Cisse constante cloke ala.

4
L’ôr’djène dèl Côparèye
S’èfonce èl neûre nutêye
D’on tins k’ l’a rèspouné.
L’istwére parole dèl cloke,
Sins poleûr dîre l’èpoke
K’èlle a k’mincî d’ soner.

5
On sét k’å cwinzinme siéke
On l’acsègnîve come régue
Ås djins dèl nôbe cité ;
Après l’ cloke côparèl
I n’ wèzît sins tchandèle
Avå lès vôyes roter.

6
Èlle aveût tchûzi s’ sîdje
Sol pus hôte toûr di Lîdje,
Sol clokî d’ Saint-Lambièt.
Là, wèzène dès nûlêyes
Èt doûcemint èsbranlêye,
Èle féve ètinde si vwès.

7
Li cloke rèsdondéve fwért
È fåbôr, sol lès tiérs,
Ås tchamps dès-invirons :
On p’tit vint qu’ sofléve féve
Ki l’ volant son s’ pwèrtéve
A dès viyèdjes bin lon.

8
Èstant lès-al-nut’ keûtes
Ad’lé l’ bwès dèl Vå-v’-neûte,
È meûs d’ may, ås bês djoûs,
Sovint dji m’arèstéve,
Èt påhûle, dji hoûtéve
Li cloke èt l’ råskignoû.

9
Cwand dès rûtès djalêyes
Mi r’boutît èl coulêye
D’on bon r’glatihant feû,
Al nut’, li Côparèye
M’èsteût-st-ine kipagnêye
Si dji m’ trovéve tot seû.

10
Si, coûkî d’vins mès plomes,
Ratindans m’ prumî some,
Dj’èsteû-st-a m’ kitaper,
Å son dèl Côparèye
Arivéve li somèy
Ki m’ vinéve èwalper

11
Él plèce d’ine cloke asteûre,
Nos-oyans d’ trinte tabeûrs
L’èpouvantåbe disdut ;
Wice qu’i passèt èl vèye,
On stope sès deûs-orèyes
Tot s’ såvant foû dè brut.

12
Po ‘n-èfant qu’on hossîve
È s’ banse èt k’on loukîve
D’èdwèrmi påhûl’mint,
Nole tchanson ni valéve
Li Côparèye ki v’néve
L’èdwèrmi tot doûcemint.

13
Mês gn-aveût dès corognes
K’å p’tits-èfants fît sogne,
Djusk’à lès fé tronner
Tot d’hant ki l’ Côparèye
Lèzî côp’reût l’s-orèyes
S’i n’alît nin nan.ner.

14
È l’osté, è l’iviér,
Li Côparèye tofér
Sona å minme trèvint ;
Å pus lon djoû d’ l’an.nêye
On l’ trovéve trop håstêye
Dè fé r’sètchî lès djins.

15
Èle dihéve è s’ lingadje :
« Alez-r’-zè sins tapadje,
« Alez-r’-zè, vos buveûs ;
« Hoûtez mès sonôres sènes,
« Cwitez, cwitez l’ taviène :
« A l’aminde on v’ mèt’reût

16
« Di Lîdje lès pwètes sèrêyes
« Ni v’ lêront nole intrêye
« Ki tot payant l’ witchèt ;
« Pwis, à dih eûres sonantes,
« Li går très vijilante
« Vis f’rè vèy båbe di bwès ».

17
On d’héve : « Po kél ûzèdje
« Sére-t-on tos lès passèdjes
« Dè fåbôr al cité ?
« Cwand nosse vèye n’èst nin fwète,
« Poqwè sére-t-on lès pwètes
« É plinte påye, è l’osté ?

18
« Si dj’ va fé ‘ne porminåde
« Ou vèy on camaråde
« Foû dès pwètes è l’osté
« Ki dj’ m’amûze on pô tård,
« Po m’ lèyî rintrer l’ går
« F’rè dès difigultés.

19
« Est-ce qui nosse vèye di Lîdje
« Soutint on novê sîdje
« Conte li prince di Nassô ?
« Si c’èst po dès voleûrs,
« Dès fåbôrs n’a-t-on d’ keûre
« Wice qu’i f’rît bin leû côp ?

20
« Vikans-gn’ å tins critike
« K’on pouvwér tiranike
« Ricrindéve lès bordjeûs ?
« K’ine police èwarahe
« Tronléve k’on n’ dimorahe
« Trop tård avå lès djeûs ?

21
« Mês ki f’rît nos sôdårds,
« Pwètes, citadèle, rampårts
« Po cont’ni lès Lîdjwès ?
« S’on-z-èsteût hayou d’ zèles
« Totes cès fwèces ki f’rît-èles ?
« Eles ni f’rît nin grand-d’-tchwè … »

22
Vola çou k’ barbotîn’
Dès cis qu’ènnè ralîn’
On pô tård dupassé ;
Cwand ‘l arivîn’ ås pwètes
Ki n’èstît pus droviètes
Po lès lèyî passer.

23
È l’osté, dji l’avowe,
L’eûre èsteût bin timprowe
Po sèrer lès fèrous ;
I n’èst nin todi sèdje
Dè sûre lès vîs-ûzèdjes
Ki l’ tins a forcrèhou.

24
Nosse police divéve vèy
K’on n’ minéve pus l’ minme vèye
K’on minéve ancyin.n’mint
Dè tins k’ lès tièsses di hoye
Alît avou lès poyes
Dwèrmi tot påhûl’mint.

25
Al Côparèye, nos tåyes
Dihît tot fant dès båyes
Bounut’ à leûs-amis :
Al Côparèye l’uzèdje
È leûs påhûles manèdjes,
Èsteût d’aller dwèrmi.

26
On k’nohéve li manîre
Dè spårgnî lès loumîres
Ôtefèye mîs ki d’ nosse tins.
Li métôde èsteût simpe :
On-z-aléve dwèrmi timpe,
On s’ lèvéve pus matin.

27
Asteûre lès grands signeûrs
Ont candjî totes lès-eûres ;
I dwèrmèt l’å-matin,
I d’djunèt vès doze eûres,
I dînèt k’ fêt tot neûr,
I sopèt l’ lèd’dimin.

28
Novê tins, novèle môde.
Tot candje d’on siéke a l’ôte,
Lès-omes tofér candjèt ;
Mês lès candj’mints d’ nosse siéke
Ont passé totes lès régues …
Riv’nans a nosse sudjèt.

29
Tant qu’ Lîdje indèpandante
Si mostra trionfante
Inte sès pwissants wèzins,
Li Côparèye tote fîre
Èlèva disqu’å cîr
Lès sons di s’ contint’mint.

30
Cwand lès-årmêyes francèses,
Èployant totes leûs fwèces,
Vinît l’an nonante-deûs,
Li Côparèye tote trisse
Catchèye è si-édifice
Si têha pus d’ treûs meûs.

31
Lès Francès ‘stant èvôye,
Dès djins plorîn’ di djôye
Tot l’ètindant r’soner :
Divins l’ vèye Côparèye
I r’vèyît leû patrèye
K’on l’zî v’néve raminer

32
S’èle risona co ‘ne fèye,
Ci fout po dîre al vèye
In-étèrnél adiè ;
L’an d’answite, è djulèt’,
Dès victwéres pus complètes
Raminît lès Francès.

33
L’an nonante-cwate, li France
Vinkiha l’aliyance
Di tos lès potantats ;
Èt l’êgue dè kêzèrlik
Tronlant d’vant l’ Rèpublike
Djusk’oute dè Rin s’ såva.

34
Lîdje ki n’ fout ètchin.nêye
Pindant ût cints-annêyes
Di nouk dès potantats
Foûrit soumîse al France
Pièrda si-indèpandance
Èt l’ Côparèye mora

35


36
Al fin, tot-a-fêt tome,
Ètats, monumints, omes ;
Al fin tot deût mori :
L’antike cloke èst fondowe,
Li toûr è-st-abatowe
Èt sès rwènes ont pèri.

 

Mèrci a Guy FONTAINE po s'scriyèdje


 

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